Paco est un de ces enfants qui crient dans la rue. Un de ces enfants qui poussent les autres et qui ne donnent jamais le bonjour.
Paco est un de ces enfants qui bougent tout le temps, qui arrachent les fleurs des voisins et qui rigolent quand on leur fait la morale. Paco est un de mes petits-fils.
Aujourd’hui j’ai eu la surprise de le voir au seuil de ma porte. Ça m’est arrivé à moi, un vieillard de soixante-dix ans, qui ne peut faire un seul pas sans sa canne et qui (en plus) habite au deuxième étage sans ascenseur.
– Pourrais-tu garder Paco jusqu’à ce soir, papa… s’il te plaît ?
Ma fille m’explique la situation tout en dévalant les escaliers.
– J’ai un cours de développement personnel à 16 heures et, de toute façon, j’en ai marre de ses caprices…
Tiens, elle est déjà arrivée au rez-de-chaussée !
N’ayant guère la possibilité de riposter, je fais signe à Paco d’entrer. Il laisse tomber par terre son cartable et se déchausse en silence. On n’a rien à se raconter, on n’est pas amis. On se connaît à peine, en fait.
– Est-ce que tu as faim ? je lance une première question.
– Mouias… t’as quoi à manger ?
– Je ne sais pas trop, vas regarder dans le frigo… il doit y avoir de la ratatouille, lui dis-je.
– De la ratatouille, bleah ! Je voudrais un sandwich, moi.
– D’accord, vas t’en préparer un !
– Arghhh…
„La super-conversation!” pense-je, mais sans rien dire.
J’ai mal aux jambes et le garçon rentrera bientôt chez lui… pas la peine d’insister. Je regarde l’heure. Trois heures de l’après-midi, pfff…
– Mais, dis donc, tu n’as pas de télé ?
Paco s’assied à côté de moi, sur le canapé, en mâchouillant. Quelques gouttes de ketchup dégoulinent sur son menton. Si j’étais sa mère, je le lui dirais, mais comme ce n’est pas le cas, je me tais.
– Non, pas de télé chez moi.
– Hm, internet alors … Wi-Fi… quel est le mot de passe ?
– Quoi ?
Wi-Fi, internet… je n’y comprends que dalle.
Paco se lève d’un coup et mon vieux canape gémit. Je l’entends boire de l’eau dans la cuisine. Le garçon revient et reprend sa place sur le canapé (qui gémit une nouvelle fois).
„J’ai de la compagnie, au moins”, me dis-je en cherchant le bon côté des choses. Néanmoins, ce môme commence à me taper sur les nerfs.
– Dis-moi… qu’est-ce qu’on fait ici, en fait ?
– Aucune idée. On compte les livres de la bibliothèque ou, si tu veux, on ramasse les toiles d’araignée de toute la maison.
Voilà ! J’ai quand même fait des efforts au chapitre „comment passer du temps de qualité avec un préadolescent”. Pourtant, il paraît que le préadolescent en question ne les apprécie pas vraiment. Paco se lève (de nouveau), le canape gémit (de nouveau) et le garçon commence à arpenter la pièce. Sa chaussette droite est déchirée au niveau du talon.
Paco s’arrête devant une photo de Léonie. Les cheveux bouclés et les yeux verts, elle me sourit de la photo depuis plus de quinze ans. J’ai l’impression qu’elle ressemble à… mais, dis donc, c’est incroyable ! Elle ressemble à Paco.
Le garçon interrompt mes réflexions :
– C’est qui dans la photo ?
– Ta grand-mère.
– Ah, bon ? Je ne l’ai jamais vue, elle est où ?
– Au cimetière.
– Ah, c’est vrai, maman me l’avait dit.
„Hm, il n’est pas complètement la tête dans la lune, ce gosse.”
– Ta mère ne t’a jamais montré ses livres ?
– Comment ?
– Tu sais, ta grand-mère a écrit quelques livres… regarde là !
De ma canne, je lui indique la deuxième étagère de la bibliothèque, pleine à craquer des bouquins écrits par Léonie.
Paco traîne ses pieds dans la direction de l’étagère et commence à étudier les titres. Après un certain temps il choisit un livre, revient sur le canapé et commence à lire. Le canapé n’a plus protesté cette fois-ci. Les pages commencent à tourner toutes seules devant les yeux du garçon, comme par magie.
Paco vient de se transformer en un de ces enfants qui aiment lire.
