C’est vendredi aujourd’hui. C’est le jour où papa vient me chercher à la maternelle. Je l’attends impatiemment. Je regarde la pâte à modeler des mains de Sophie et les dinosaures de Michel… aucun intérêt pour moi. Je regarde les quelques tâches de peintures de ma manche droite… aucun intérêt non plus. Je guète le moment où papa fera son apparition. Je le vois ouvrir doucement la porte puis entrer et donner le bonjour d’une voix bien forte.
A ce moment-là, je quitte ma place. Je voudrais lui sauter dans les bras, mais sachez que je ne le fais pas. Pas tout de suite. Parce que j’ai plein de choses à ranger avant le départ : des livres, des crayons, une chaise… Je suis très occupé mais je n’oublie pas de tirer la langue à Michel et de sourire en cachette à Sophie. Ça y est, je suis prêt maintenant !
Je me dépêche vers le porte-manteau et je commence à m’habiller. Papa veut me donner un coup de main, tout en parlant à la maîtresse. Il me met sur la tête le bonnet dont l’étiquette me gratte le front, puis il ferme les boutons de ma veste. De travers. On dirait qu’il ne s’en sort pas très bien, mon papa. La maîtresse lui raconte que j’ai versé de la peinture sur mes manches. Papa rigole. Je profite de cet instant pour enlever mon bonnet et défaire ma veste. Nous quittons l’école et c’est à ce moment précis que je lui saute dans les bras.
Je traîne mes pieds vers la maison pendant que papa parle au téléphone. Sa journée de travail n’est pas finie, même s’il est parti de son atelier. Monsieur Stéphane l’appelle toujours le vendredi, car il ne se débrouille pas tout seul avec les clients. En revanche, il est très doué à nous faire rigoler avec des blagues, Monsieur Stéphane !
Il fait très froid à la maison. On enlève nos chaussures et on allume le chauffage. Papa m’as promis des crêpes hier soir, du coup il enfile un tablier et se met au travail. Dans un bol, il casse les œufs et rajoute d’un coup la farine et le lait. Il commence à tout mélanger mais le téléphone sonne de nouveau et une conversation interminable commence. Monsieur Stéphane, de nouveau ! Ils parlent des clients difficiles, des pièces de mobilier qui ne sont pas prêtes pour la livraison et d’un tas de trucs que je ne comprends pas.
– Papa, puis-je finir la pâte à crêpes ?
– Non, surtout pas.
– S’il te plaît…
– Non, Monsieur Stéphane, je vous ai dit qu’on n’avait pas assez de temps pour prendre une nouvelle commande. Il faut rester dans le cadre du contrat signé…
Je ne sais pas quoi faire. Je voudrais manger des crêpes mais la pâte n’est pas terminée, il manque quelque chose… Je suis courageux et j’ouvre le cahier de recette qui gît sur la table. Je ne sais pas très bien lire mais je comprends qu’il me faut encore du beurre et de l’eau. Aux gestes précis dignes d’un savant, je rajoute les ingrédients manquants, puis je mélange le tout à la cuillère. Bon ! Maintenant il ne reste plus qu’à les faire cuire. Les crêpes. Je soupire, je n’ai pas le droit de toucher à la cuisinière, le désespoir me gagne, comment faire ?
Si j’étais un ancien Indien d’Amérique, je saurai sûrement allumer un feu. La maîtresse nous en a parlé aujourd’hui et j’ai bien retenu le mot „wigwam” car c’était un mot bizarre.
– Je suis à votre disposition, Monsieur, j’entends papa rigoler derrière moi. Il a laissé de côté son portable puis est venu à mon secours, la boîte d’allumettes dans une main et la poêle dans l’autre.
– Dis-moi, papa, penses-tu que ces crêpes soient comestibles ?
– Comestibles, tu dis ? Non, pas du tout…Elles sont fabuleuses, les meilleures crêpes du monde !
Mon papa en envoie une vers le ciel et j’ai l’impression que la crêpe atteint le plafond avant de tomber par terre. Il la ramasse rapidement et en mange la moitié en souriant. L’autre moitié c’est pour moi. Je l’avale tout de suite, elle est de-li-cieu-se !
Une fois les crêpes cuites et mangées, on se met à jouer à cache-cache. Je ne le lui ai pas encore dit, mais je l’aime beaucoup, mon Papa !
